« Il faut travailler beaucoup, une tonne de passion,
cent grammes de patience. »
Nicolas de Staël, 1945, Lettre à Jean Adrian
La traversée inédite de pandémie, la frénésie stoppée, la distance patiente,
l’immobilité, la solitude et le deuil pour certains, le dévouement généreux,
l’absence de l’autre plus précieux que jamais, l’écoute de la Nature, sa
contemplation, la ville étonnamment silencieuse, souvenez-vous.
Ce grand arrêt nous aura-t-il changés ? Où en sommes-nous de nos désirs ?
L’Art, je le crois, réinventera le récit qui déjà apparaît. Contre la négativité et
le cynisme, les petits compromis, contre le conformisme et le mesquin,
nous ferons plus encore, nous inscrirons Les Joies souveraines au fronton
de la maison de Théâtre. Et nous accueillerons les artistes fragiles et sublimes,
olympiens ou fantasques, réfractaires, et inventerons une séquence comme
un printemps.
À nouveau, chaque soir, ayant filé dans le noir de la salle, pour l’émerveillement,
vous serez là, votre regard nous fera exister et fera advenir le théâtre. Regain.
La maison sera financièrement plus fragile mais pas moins inventive ni généreuse.
Un conservatoire d’émotions toujours, et la création affirmée : Le Jeu des ombres,
La réponse des Hommes, Lewis versus Alice, La Nuit des Rois, Les Hadza, Danse
"Delhi", OUTSIDE… Jean Bellorini, Tiphaine Raffier, Kirill Serebrennikov…
Quel est le récit de cette saison nouvelle ? Il entend le politique et la planète,
le spirituel et l’illusion poétique, le merveilleux et le réel, vaillance et fragilités
humaines, histoire du monde lyrique ou burlesque, épiphanies, désastres,
et toutes les beautés de la langue. Une vision intense des artistes, prémonitoire,
bienveillante ou cruelle.
Récit de création et d’emmêlement énergique des arts ! Voilà sous vos yeux,
théâtre et magie, cinéma pour dire le monde tel qu’il va mal, musique ancienne,
actuelle, le son sublime, le théâtre musical le plus raffiné, avec Marseille Concerts,
le gmem, le Conservatoire de Marseille, et la danse avec Preljocaj !, avec (LA) HORDE,
Ballet national de Marseille qui entre en scène. Puis, pour le frisson, un bal qui clôt
Une Histoire de la Peste et pour le fantastique Lewis versus Alice…
J’aime affirmer les correspondances entre les arts vivants et la littérature,
et en écho au répertoire, j’aime l’attirante insolence du théâtre contemporain :
de Riboulet à Marie NDiaye, de Novarina à Viripaev, de Daoud à Bouïda,
de Léa Drouet à Philippe Quesne, de Chloé Delaume à Serebrennikov,
d'Hubert Colas à Claude Schmitz, d’Olivier Py à Grumberg, de Tiphaine Raffier
à Myriam Muller, en passant par Ren Hang et Emma Dante…
Autour de notre revue CRI-CRI, c’est la pensée en alerte : Dissidence et liberté,
Orphée et Eurydice, le bruit de la mer et ce qui gronde autour de nous.
Débats, tables rondes, Rencontres d’Averroès, Pop Philo, Oh ! Les Beaux jours
et ses écrivains, Aix-Marseille Université et les Musées et Muséum, l’EHESS,
avec le psychanalyste Hervé Castanet et l’ethnologue Philippe Geslin - et toutes
sortes de penseurs, scientifiques et universitaires qui nous rejoignent.
La ronde des expositions et installations dans le Nouveau Hall - la part
plastique et gratuite, Fondation des Treilles, Cirva, Galerie Magnin-A,
Cécile Léna et autres surprises.
L’enfance est notre douce obsession, ribambelle de spectacles, contes, concerts,
films, ateliers... « Première fois par la mer », une traversée au large pour un
premier spectacle dans le grand théâtre où l’on accoste… grâce au Fonds de
dotation Compagnie Fruitière !
Au dehors de La Criée, se jouent toutes nos actions pour les écoles, lycées,
prisons, lieux d’accueil, missions qui irriguent, persuadent, gagnent du
terrain et des spectateurs éloignés. J’aime dire ici et saluer la vaillance,
la persévérance magnifique de mes équipes de La Criée sans qui il n’y aurait
ni saison ni miracle. Je veux chaleureusement les remercier.
Vous serez sans doute autour de 75 000 spectateurs et il y aura
14 000 enfants et jeunes sans compter Môm'Criée, ni les visiteurs de nos
expositions. Il y aura aussi le passant de hasard qui pousse la porte depuis
le quai pour simplement se poser et voir. Il y aura 170 levers de rideaux et
autant d’occasions d’être heureux.
Dans les couleurs de la nuit, vous dites : « ce que j’ai vu de plus beau. »
Votre désir de voir, je le reconnais ; il nous porte vers l’exigence et la variété
des formes, expansion continue et libre. Les uns les autres, nous avons
pris soin de nous pendant des semaines de retrait et d’éloignement.
Le théâtre comme un grand bateau vide attendait. Prenons soin, à présent,
des gestes poétiques, des artistes et de leurs créations, rêveries et fictions, de
l’immatériel. Exaltons le théâtre. Jouissances !
Macha Makeïeff